mardi 2 août 2022

Picasso - grand nu au fauteuil rouge 1929

 Pablo Picasso 1881-1973


Picasso - grand nu au fauteuil rouge 1929

Picasso - grand nu au fauteuil rouge 1929
huile sur toile 
musée Picasso,Paris

Aticle du 16 juin 2017 de Philippe Dagen dans le Monde;

L’histoire est connue. En février 1917, les Ballets russes de Serge de Diaghilev sont à Rome, où se prépare Parade, musique d’Erik Satie, argument de Jean Cocteau, chorégraphie de Léonide Massine, rideau et costumes de Pablo Picasso. Dans la troupe se trouve une danseuse nommée ­Olga Khokhlova, née en 1891. La ballerine et l’artiste espagnol, de dix ans ­son aîné, se rencontrent et se séduisent.

Le 12 juillet 1918, ils se marient à Paris avec pour témoins Guillaume Apollinaire, Jean Cocteau et Max Jacob. L’année suivante, après les représentations du Tricorne, de Manuel de Falla, à Londres, Olga Khokhlova abandonne les Ballets russes. Le 4 février 1921 naît Paul, fils unique du couple.

Jusque-là, c’est une romance : amour, gloire et succès. L’appartement du 23, rue La Boétie est vaste, le train de vie plus que bourgeois, les relations aristocratiques. Les étés se passent sur des plages à la mode : Dinard, cap d’Antibes, Juan-les-Pins ou Cannes – en 1927. En février de cette année-là, dans la rue, à Paris, par hasard, Picasso rencontre Marie-Thérèse Walter, qui a 17 ans.

Ces intrigues sentimentales et sexuelles appartiennent à la légende de l’art du XXsiècle

Cette histoire-là est aussi très connue : éblouissement, premiers rendez-vous, premiers dessins, passion adultère. A l’été 1928 – ultime anecdote balnéaire –, Picasso, Madame et le fils séjournent de nouveau à Dinard, comme six ans auparavant. Mais Marie-Thérèse est du voyage, en clandestine. Une obscurité dont elle sort d’autant plus vite que sa présence est flagrante dans l’œuvre de l’artiste.

L’achat du château de Boisgeloup (Eure) pour s’éloigner de Paris, les sculptures rondes qui font l’éloge des courbes de Marie-Thérèse, son déménagement au 44, rue La Boétie en 1930, la naissance de Maya en 1935 : exit Olga, qui refuse de divorcer et obtient de s’installer à Boisgeloup en 1936. Au même moment, Dora Maar, rencontrée en 1935, prend le pas sur Marie-Thérèse. Histoire encore plus célèbre que les précédentes, s’il est possible.

Ces intrigues sentimentales et sexuelles appartiennent à la légende de l’art du XXsiècle. Aussi était-il a priori risqué pour le Musée Picasso de consacrer une exposition à Olga : à quoi bon, si tout a déjà été dit ? Or, tel n’est pas le cas. On s’en aperçoit rapidement devant les vitrines où sont présentés, à ­foison, des dizaines de photos, lettres, cartes postales ou imprimés administratifs qui apportent de nombreux éléments ­sur la famille d’Olga et ce qu’elle subit après la révolution d’octobre 1917.

  • « “Olga à la mantille” est l’un des tout premiers portraits d’Olga, que Picasso a rencontrée lors de son séjour à Rome en 1917. L’artiste la dépeint avec naturalisme et distance, en la dotant significativement d’une coiffe catalane, accessoire typique du costume traditionnel espagnol, improvisé à partir d’un napperon de guéridon. »

    Pablo Picasso : « Olga (Khokhlova) à la mantille », Barcelone, été-automne 1917 – huile sur toile

    « “Olga à la mantille” est l’un des tout premiers portraits d’Olga, que Picasso a rencontrée lors de son séjour à Rome en 1917. L’artiste la dépeint avec naturalisme et distance, en la dotant significativement d’une coiffe catalane, accessoire typique du costume traditionnel espagnol, improvisé à partir d’un napperon de guéridon. » SUCCESSION PICASSO, 2017/EQUIPO GASULL

  • « Au début des années 1920, Picasso multiplie les portraits de facture classique où Olga, immobile, adopte une attitude pensive. La grande mélancolie de ces images, souvent associée au thème de la lecture, fait écho aux correspondances inquiètes que la danseuse entretient avec sa famille, restée en Russie. »

    Pablo Picasso : « Olga pensive », Paris, hiver 1923 – pastel et crayon noir sur papier vélin préalablement poncé

    « Au début des années 1920, Picasso multiplie les portraits de facture classique où Olga, immobile, adopte une attitude pensive. La grande mélancolie de ces images, souvent associée au thème de la lecture, fait écho aux correspondances inquiètes que la danseuse entretient avec sa famille, restée en Russie. » RMN-GRAND PALAIS (MUSÉE NATIONAL PICASSO-PARIS)/MATHIEU RABEAU

  • « Pablo Picasso et Olga Khokhlova se rencontrent à Rome au printemps 1917. Picasso réalise, à l’invitation de Jean Cocteau, les costumes et les décors du ballet “Parade” (musique d’Erik Satie, argument de Jean Cocteau, chorégraphie de Léonide Massine). Jean Cocteau, qui dessine la rencontre et les premiers échanges auxquels il assiste entre l’artiste et la danseuse, sera un an plus tard, le 12 juillet 1918, un des témoins de leur mariage. »

    Jean Cocteau : « Olga et Picasso », Rome, 1917 – crayon graphite sur papier

    « Pablo Picasso et Olga Khokhlova se rencontrent à Rome au printemps 1917. Picasso réalise, à l’invitation de Jean Cocteau, les costumes et les décors du ballet “Parade” (musique d’Erik Satie, argument de Jean Cocteau, chorégraphie de Léonide Massine). Jean Cocteau, qui dessine la rencontre et les premiers échanges auxquels il assiste entre l’artiste et la danseuse, sera un an plus tard, le 12 juillet 1918, un des témoins de leur mariage. » FABA PHOTO : MARC DOMAGE

  • « La salle à manger cossue et bourgeoise de l’appartement de la rue La Boétie, dans lequel Picasso et Olga emménagent en novembre 1918, témoigne de l’ascension sociale du couple, alors que l’œuvre de Picasso connaît une reconnaissance accrue. »

    Pablo Picasso : « La Salle à manger de l’artiste rue La Boétie, Paris, 1918 -1919 » – gouache et encre de Chine sur esquisse au crayon graphite sur papier

    « La salle à manger cossue et bourgeoise de l’appartement de la rue La Boétie, dans lequel Picasso et Olga emménagent en novembre 1918, témoigne de l’ascension sociale du couple, alors que l’œuvre de Picasso connaît une reconnaissance accrue. » RMN-GRAND PALAIS (MUSÉE NATIONAL PICASSO-PARIS)/MATHIEU RABEAU

  • « Eugenia Errazuriz, riche mécène chilienne, organisa la rencontre entre Olga, Picasso, et le comte de Beaumont, bien connu pour l’organisation de réceptions fastueuses, qu’affectionnait Olga, comme ce bal de 1924, organisé dans son hôtel de la rue Masseran à Paris. »

    Man Ray (Emmanuel Radnitzky, dit) : « Ricardo Vinès, Olga et Pablo Picasso, Manuel Angeles dit Manolo Ortiz au bal du comte de Beaumont, Hôtel de Masseran, Paris, 1924 » – tirage non daté

    « Eugenia Errazuriz, riche mécène chilienne, organisa la rencontre entre Olga, Picasso, et le comte de Beaumont, bien connu pour l’organisation de réceptions fastueuses, qu’affectionnait Olga, comme ce bal de 1924, organisé dans son hôtel de la rue Masseran à Paris. » RMN-GRAND PALAIS (MUSÉE NATIONAL PICASSO-PARIS)/MATHIEU RABEAU

  • « Paul, premier et unique enfant d’Olga Khokhlova et de Pablo Picasso, naît le 4 février 1921. Quelques semaines plus tard, au printemps, l’artiste peint cette maternité tendre et mélancolique, aux allures sculpturales, nourrie des modèles antiques et Renaissance auxquels Picasso porte une attention nouvelle depuis son séjour italien quatre ans plus tôt. »

    Pablo Picasso : « Mère et enfant au bord de la mer », printemps 1921 – huile sur toile

    « Paul, premier et unique enfant d’Olga Khokhlova et de Pablo Picasso, naît le 4 février 1921. Quelques semaines plus tard, au printemps, l’artiste peint cette maternité tendre et mélancolique, aux allures sculpturales, nourrie des modèles antiques et Renaissance auxquels Picasso porte une attention nouvelle depuis son séjour italien quatre ans plus tôt. » ART INSTITUTE OF CHICAGO, DIST. RMN-GRAND PALAIS

  • « Parmi de nombreux documents d’archives témoignant de la vie familiale, ces deux photographies d’Olga et de son fils Paul, prises vers 1928, sont des témoignages touchants de l’amour maternel pour cet unique enfant du couple, alors âgé de sept ans. »

    Deux photomatons d’Olga et Paul Picasso, vers 1928 – photographie originale, épreuve gélatino-argentique

    « Parmi de nombreux documents d’archives témoignant de la vie familiale, ces deux photographies d’Olga et de son fils Paul, prises vers 1928, sont des témoignages touchants de l’amour maternel pour cet unique enfant du couple, alors âgé de sept ans. » COLLECTION BRP

  • « Le “Grand Nu au fauteuil rouge”, contrepoint cruel du portrait d’Olga dans un fauteuil est d’une violence sans nom. Le corps, nu et déliquescent d’Olga, est disloqué, la tête renversée vers l’arrière laissant s’échapper un cri d’une bouche ouverte et dentée, “vagina dentata”, chère aux surréalistes développant le thème du monstre féminin. »

    Pablo Picasso : « Grand Nu au fauteuil rouge », 5 mai 1929 – huile sur toile

    « Le “Grand Nu au fauteuil rouge”, contrepoint cruel du portrait d’Olga dans un fauteuil est d’une violence sans nom. Le corps, nu et déliquescent d’Olga, est disloqué, la tête renversée vers l’arrière laissant s’échapper un cri d’une bouche ouverte et dentée, “vagina dentata”, chère aux surréalistes développant le thème du monstre féminin. » RMN-GRAND PALAIS (MUSÉE NATIONAL PICASSO-PARIS)/MATHIEU RABEAU

  • « En novembre 1929, Pablo Picasso peint “La Nageuse”. Dans la lignée des séries de “Baigneuses” que lui inspire Marie-Thérèse Walter à Dinard, il joue des contrastes de couleurs vives et franches. La nageuse, désarticulée, dont le corps fait écho aux torsions de l’“Acrobate bleu”, adopte ici une posture aussi aérienne qu’érotique. »

    Pablo Picasso : « La Nageuse », novembre 1929 – huile sur toile

    « En novembre 1929, Pablo Picasso peint “La Nageuse”. Dans la lignée des séries de “Baigneuses” que lui inspire Marie-Thérèse Walter à Dinard, il joue des contrastes de couleurs vives et franches. La nageuse, désarticulée, dont le corps fait écho aux torsions de l’“Acrobate bleu”, adopte ici une posture aussi aérienne qu’érotique. » RMN-GRAND PALAIS (MUSÉE NATIONAL PICASSO-PARIS)/ADRIEN D.

  • « Cette grande toile en grisaille est proche de l’écriture automatique qui laisse aller le crayon au gré d’une pulsion non contrôlée et crée au hasard des formes. Thème récurrent dans l’œuvre de Picasso, “Le Peintre et son modèle” est à rapprocher des dessins et études qu’il réalise à l’époque pour l’illustration du “Chef d’œuvre inconnu”. Comme dans le tableau de Frenhofer, le réseau d’entrelacs unissant la figure du peintre à son modèle, renferme en son milieu un pied démesuré, seul motif identifiable. »

    Pablo Picasso : « Le Peintre et son modèle », 1926 – huile sur toile

    « Cette grande toile en grisaille est proche de l’écriture automatique qui laisse aller le crayon au gré d’une pulsion non contrôlée et crée au hasard des formes. Thème récurrent dans l’œuvre de Picasso, “Le Peintre et son modèle” est à rapprocher des dessins et études qu’il réalise à l’époque pour l’illustration du “Chef d’œuvre inconnu”. Comme dans le tableau de Frenhofer, le réseau d’entrelacs unissant la figure du peintre à son modèle, renferme en son milieu un pied démesuré, seul motif identifiable. » RMN-GRAND PALAIS (MUSÉE NATIONAL PICASSO-PARIS)/JEAN-GILLES BERIZZ

  • « Cette huile sur toile de 1929 tranche radicalement avec les pastels, doux et mélancoliques, que Picasso consacre à son épouse au début de la décennie. Le corps d’Olga est l’objet de toutes les dislocations ; son visage, tout en angles, est presque réduit à une dentition menaçante. En arrière-plan, l’autoportrait de l’artiste, en aplats de rouges vifs, rajoute à l’impression de violence qui se dégage de l’œuvre. »

    Pablo Picasso : « Buste de femme avec autoportrait », février 1929 – huile sur toile

    « Cette huile sur toile de 1929 tranche radicalement avec les pastels, doux et mélancoliques, que Picasso consacre à son épouse au début de la décennie. Le corps d’Olga est l’objet de toutes les dislocations ; son visage, tout en angles, est presque réduit à une dentition menaçante. En arrière-plan, l’autoportrait de l’artiste, en aplats de rouges vifs, rajoute à l’impression de violence qui se dégage de l’œuvre. » PRIVATE COLLECTION/COURTESY OF MCCLAIN GALLER

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Une correspondance suivie

Le père, Stepan Khokhlov, était colonel de l’armée du tsar. Avec deux des frères d’Olga, il s’engage dans les armées des Russes blancs contre l’Armée rouge. Quand celle-ci met en déroute les Blancs, Stepan meurt, sans doute du typhus, et la famille est dispersée et réduite à la pauvreté, alors qu’Olga vit dans l’aisance et les mondanités. Régulièrement, elle vient en aide à sa famille. Picasso y contribue largement et Gertrude Stein elle-même joue de ses relations pour faire passer de l’argent à Lydia, la mère.

La correspondance entre l’URSS et la rue La Boétie est suivie, les lettres sont souvent accompagnées de photos, dont celles du petit Paul, dont la grand-mère russe meurt sans avoir fait sa connaissance. Ces éléments familiaux et intimes, jusqu’ici peu connus, constituent l’apport principal de l’exposition.

Les peintures, dessins ou gravures de Picasso célèbrent la grâce d’Olga, puis sa maternité et les premières années de Paul

Ils y sont présentés parmi les peintures, dessins ou gravures dans lesquels Picasso célèbre la grâce d’Olga, puis sa maternité et les premières années de Paul. Ces œuvres, que l’on a souvent qualifiées à la va-vite de « néoclassiques » ou d’« ingresques », font admirer la prodigieuse justesse de traits de celui qui, simultanément, donne au cubisme des développements de plus en plus éloignés de ce qu’il était vers 1912.

Il y a, comme le plus souvent chez Picasso, une manière pour les portraits, une autre pour les nus, une autre encore pour les natures mortes.

Nouvelles grammaires plastiques

Et ainsi de suite : à chaque genre, son langage. Encore n’est-il nullement impossible qu’ils se rencontrent et s’hybrident dans le laboratoire qu’est l’atelier. Le supposé néoclassicisme est affecté par des disproportions anatomiques qu’Ingres lui-même aurait jugées excessives, bien qu’il lui soit arrivé d’étirer la colonne vertébrale de ses odalisques. Symétriquement, des objets figurés de la manière la plus réelle s’introduisent dans des compositions cubisantes ordonnées par la géométrie et déduites des papiers collés. Rien n’est interdit.

Picasso multiplie les allers et retours stylistiques, ne se laissant enfermer dans aucune formule, ni aucune école – et surtout pas dans le cubisme en voie d’académisation ornementale au début des années 1920.

A partir de 1928, les corps deviennent anguleux, se hérissent d’épines, finissent en pointes

On ignore ce qu’Olga comprend à l’art de Pablo. A l’inverse, on n’ignore pas qu’il s’écarte d’elle au bout de quelques années et qu’à partir de 1928, les corps deviennent anguleux, se hérissent d’épines, finissent en pointes. Les scènes de plage et d’atelier tournent mal, ce qu’il est tentant d’expliquer par l’adultère et les colères d’Olga.

Reste cependant cette autre évidence : le mariage, la maternité et l’adultère sont des faits d’une banalité absolue, y compris chez les peintres et les contemporains de Picasso – Matisse, Derain et d’autres. Or Picasso est le seul à élever ces banalités au rang de la légende en inventant de nouveaux idiomes et de nouvelles grammaires plastiques.

Découper son œuvre en autant de périodes qu’il a eu de compagnes serait donc vain : ce qui ­ importe est le processus de transmutation de la biographie en ­dessin ou peinture, bien plus que les détails de la biographie eux-mêmes.

« Femme lisant » (1920), huile sur toile de Pablo Picasso.


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